J’ai connu Sylvain Aubé lorsque nous avons commencé à échanger en 2008 dans la section commentaires chez www.antagoniste.net (un site libertarien qui a perdu le goût de vivre depuis de Donald Trump a été élu en 2016…) Sylvain était alors un jeune étudiant en droit (il aurait préféré la philo, mais quelle est l’utilité d’un diplôme en philosophie?) À l’époque il avait déjà cheminé de l’athéisme au déisme, mais il prenait à partie les absolus moraux que j’affirmais. Il avait une supériorité rhétorique sur tous les autres participants et faisait montre d’une grande intégrité intellectuelle.
Comme nos diatribes théologiques étaient interminables, nous avons commencé à correspondre en privé. Sylvain est venu m’écouter prêcher quelques fois, nous avons mangé ensemble à plusieurs reprises, notre correspondance s’est activement poursuivie pendant deux ans. Je lui ai envoyé Francis Schaeffer, Timothy Keller, il a aussi lu Augustin, C.S. Lewis et John Piper… et il est finalement devenu catholique! Je sais, je sais, un réformé baptiste qui enfante un catholique romain après tout ce labeur : c’est pathétique et indigne! Mais, après tout, Jésus lui-même n’a-t-il pas manqué le jeune homme riche (Mt 19.16-22) qui lui demandait pourtant comment être sauvé?
Je ne crois pas cependant avoir manqué Sylvain. Il est un de ces catholiques que je considère comme frères dans le Seigneur et, qui plus est, un ami proche pour lequel j’ai la plus haute estime et une affection sincère. Quoi? Un papiste, mangeur d’ostie transsubstantié, priant la Sainte Vierge et croyant au salut par ses bonnes œuvres… UN FRÈRE DANS LE SEIGNEUR – dites-vous?? Êtes-vous sûr d’être encore réformé pasteur Denault pour affirmer une telle sottise? Mais oui! Attendez encore un peu… (Ne le dites pas à Raymond Perron, notre directeur de la programmation à CFOI, mais j’ai même fait 3 ou 4 émissions de radio avec Sylvain depuis sa conversion 😯 ici, ici, ici, ici).
FIN DES GROS BISOUS, PASSONS MAINTENANT À LA CRITIQUE…
Tout ça pour dire que ce cher Sylvain blogue maintenant sur www.foicatholique.com où il vient de relancer le sempiternel débat entre catholiques et protestants sur la foi et les œuvres (arrêtez immédiatement ici et allez lire l’article de Sylvain, puis revenez terminer la lecture de ce billet). Allez… on vous attend avant de poursuivre!
Dans son article, Sylvain me cite comme défenseur de la foi réformée et détracteur de la doctrine catholique du salut. Il conclut cependant son article en déclarant ceci :
J’ai sûrement tort, mais, six ans après ma conversion, je demeure sur la ferme impression que, sur la question des œuvres, l’opposition entre les catholiques et les réformés est un immense malentendu. Il me semble que le désaccord est davantage conceptuel et terminologique qu’il n’est spirituel ou proprement théologique
J’admets que les enseignements catholiques ne sont pas aussi clairs que les enseignements réformés sur cette question. Un catholique peut plus facilement sombrer dans l’erreur du salut par les œuvres. Mais je pense aussi que, à l’inverse, un réformé peut plus facilement sombrer dans l’erreur du salut en l’absence d’œuvres. Les deux théologies me paraissent plus compatibles – et mutuellement éclairantes – que contradictoires.
Je n’ai pas l’intention de prendre un par un les arguments de Sylvain, mais voici une brève explication pourquoi je ne suis pas d’accord avec cette conclusion.
DE QUEL CATHOLICISME ET DE QUEL PROTESTANTISME PARLE-T-ON ?
Entre le catholicisme de Trente, celui de Vatican II, celui des catholiques superstitieux qui suspendent un chapelet sur la corde à linge pour avoir du beau temps, celui du pape François 1er qui offre un pardon spécial pour le péché d’avortement, celui des catholiques modernistes qui sont outrés que le pape croie que l’avortement nécessite un pardon, celui des traditionalistes qui détestent Vatican II et François 1er ou encore celui des paroisses catholiques de ma région qui font des levées de fonds en utilisant le slogan « Avez-vous votre place au ciel ? » ; je doute fort qu’il y ait véritablement un consensus catholique sur la doctrine du salut nonobstant le catéchisme officiel (et ses moult interprétations). Ouch l’unité de la foi…
Du côté protestant ce n’est guère mieux. Entre les néonomistes qui se disent protestants sans vraiment confesser la sotériologie classique sola fide, les fondamentalistes sectaires qui ont arrêté de lire ce billet après le deuxième paragraphe, ceux-là mêmes qui sont de tendance pélagienne et qui accusent ironiquement l’Église de Rome d’enseigner un salut par les œuvres, les charismatiques qui rejettent les ajouts de la Tradition tout en accueillant les ajouts de leurs prophéties, les prétéristes qui croient que Jésus est déjà revenu et que nous sommes au Ciel (oui, oui certains croient cela), les dispensationnalistes qui donnent à Israël un statut de peuple de Dieu sans l’alliance de grâce, et tous les calvinistes arrogants (dont je suis) qui sont encore dans leur « cage stage » comme des brutes sauvages (ça par contre j’en suis sorti) ; pas sûr qu’on soit tous sur la même longueur d’onde concernant le salut !
Bien sûr je fais une caricature, mais mon point est le suivant : si, parmi toutes les formes divergentes du catholicisme, Sylvain représente vraisemblablement la plus historique ; il ne présente cependant pas le juste point de rupture des réformateurs du 16e siècle avec Rome quant au salut par grâce.
DES PROTESTANTS PAS TRÈS PROTESTANTS…
Sylvain déclare qu’il est faux de croire que l’Église de Rome enseigne un strict salut par le mérite de nos œuvres. Il affirme que le salut des cathos est sola gratia et que les œuvres nécessaires au salut et qui rendent la foi parfaite (Jc 2.22) sont produites en nous uniquement par la grâce de Dieu. (Cependant il n’explique pas pourquoi les œuvres plaidées en Mt 7.22 n’ont pas rendu parfaite la foi de ceux qui les ont pratiquées…) Puis Sylvain fait valoir que plusieurs protestants enseignent sensiblement la même doctrine en distinguant entre la vraie foi vivante qui sauve et qui a des œuvres et la fausse foi morte qui ne sauvent pas parce qu’elle est stérile (Jc 2.14-26).
Sylvain a effectivement raison, plusieurs protestants, même parmi les calvinistes, enseignent une doctrine de la justification proche de celle de Rome. D’après eux, nous serions justifiés non pas strictement sur la base de l’obéissance de Jésus, mais aussi sur la base de ce qu’il fait en nous. Plusieurs protestants voient nos œuvres non seulement comme des fruits de la vie nouvelle, mais aussi comme une base, imparfaite, de la justice qui nous permettra d’entrer au Ciel. C’est ainsi qu’ils interprètent le texte suivant par exemple :
Ce ne sont pas, en effet, ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ce sont ceux qui la mettent en pratique qui seront justifiés. (Rm 2.13)
Certains arguent que nos œuvres, fruits de la grâce divine, non seulement démontrent notre foi, mais serviront aussi de base pour nous justifier au jugement final. Mon ami catholique regarde cela et se dit : « Mais c’est aussi ce que je crois… »
Il faut cependant souligner que les cathos devront avoir un peu plus que des « bonnes œuvres imparfaites » pour pouvoir entrer au Ciel… Les « bonnes œuvres imparfaites » c’est bon pour les protestants à moitié réformés, mais les vrais catholiques doivent devenir parfaitement saints avant de pouvoir entrer au Ciel. C’est pourquoi il y en a pas mal qui feront d’abord un petit détour par le purgatoire. Comme le dit saint Paul : « ils seront sauvés au travers du feu »… (Je plaisante, l’apôtre ne parle pas d’un purgatoire pour vrai, mais pour comprendre ce que signifie 1 Co 3.15 écoutez ce message).
La raison pour laquelle mon ami Sylvain croit que la sotériologie protestante peut, en partie, être harmonisée à la sotériologie catholique c’est qu’il n’a pas la bonne version de la sotériologie protestante. Voici la compréhension classique, historique, confessionnelle, réformée, orthodoxe (il manque quelques épithètes, mais vous saisissez le point) de la justification par la foi seule.
LA JUSTIFICATION PAR LA FOI SEULE
Dieu exige par sa Loi une parfaite justice en pensée, en parole et en action (Mt 5.22, 28-29, etc.). Cette parfaite justice se résume par deux commandements : aimer Dieu parfaitement et aimer son prochain comme soi-même (Mt 22.37-40). Celui qui fera cela méritera la vie éternelle (Lv 18.5 ; Rm 10.5 ; Ga 3.10)… (c’est dans ce sens qu’il faut comprendre Rm 2.13 également). Jésus partage cette compréhension concernant la Loi lorsqu’on lui demande ce qu’il faut FAIRE pour avoir la vie éternelle : il répond qu’il faut FAIRE ce que la Loi exige (Lc 10.25-28 ; Mt 19.16-17). Cependant, Jésus enseigne que FAIRE cela est impossible pour des hommes pécheurs (Mt 19.25-26) et que pour avoir la vie éternelle, ceux-ci doivent CROIRE en celui que Dieu a envoyé (Jn 6.28-29, 40), car c’est Lui qui est venu FAIRE ce que la Loi exige pour qu’ils puissent être sauvés par Lui (Mt 1.21, 5.17).
Depuis l’entrée du péché dans le monde, aucun homme ne peut FAIRE ce qu’exige la Loi (Rm 3.10-12). C’est pourquoi nul ne peut être déclaré juste (justifié) devant Dieu sur la base de son obéissance à la Loi, même une obéissance régénérée (Es 64.6). L’utilité de la Loi est de mettre en évidence notre péché (Rm 3.20), afin de nous conduire à Christ (Ga 3.24), Celui qui est venu pour accomplir la Loi à notre place (Mt 5.17 ; Ga 4.4) et par l’obéissance duquel Dieu nous déclare définitivement justes et héritiers de la vie éternelle (Rm 5.18-19 ; Ph 3.9 ; 2 Co 5.21) et cela par l’unique moyen de la FOI (Rm 3.28 ; Ga 2.16, 3.11-12).
Voici la conception de la justification qui est purement protestante et, à mon humble avis, purement biblique. Cette conception diverge de la justification catholique où être justifié ne signifie pas être déclaré juridiquement juste par l’imputation de la justice du Christ (protestantisme), mais être transformé ontologiquement en un juste par l’infusion de la grâce (catholicisme). Qu’on conçoive que cette transformation s’opère uniquement par la grâce de Dieu et ne génère aucun mérite de la part de l’homme ne réconcilie nullement le catholicisme avec le sola gratia protestant. Car au sola gratia nous joignons aussi sola fide et solus Christus qui garantissent notre salut exclusivement sur la base de l’œuvre d’obéissance que Jésus a faite en dehors de nous et en faveur de nous comme représentant fédéral devant Dieu et aucunement sur la base de ce que Jésus fait au-dedans de nous et au moyen de nos œuvres.
La foi sans les œuvres est morte parce qu’il ne s’agit pas d’une foi de confiance (fiducia) en Jésus, mais d’une simple foi d’assentiment (assentius) à la vérité (Jc 2.19). La vraie foi à salut est plus qu’un exercice intellectuel, elle est une foi vivante et fertile par le Saint-Esprit. Les fruits de cette foi ne servent absolument pas de base à notre justification, mais ils sont la démonstration de l’authenticité de notre foi (Hé 11.1 ; 1 Th 1.3 ; Ga 5.6) et seront même récompensés par Dieu au jugement final (Mt 5.12, 10.41-42 ; 1 Co 3.14-15 ; 2 Jn 8).
Première publication le 23 novembre 2016 @ 18 h 38 min
J’aime lorsque l’on parle du thème de la justification et du débat qui l’entoure. Je trouve, humblement, que Pascal a bien vulgarisé la vérité de la justification dépeinte dans les Saintes Écritures…il y a tellement à dire !
Je viens tout juste de lire: Faith Alone—The Doctrine of Justification: What the Reformers Taught…and Why It Still Matters par Schreiner. J’ai aimé sa méthodologie, sa théologie et sa rigueur !
Merci Pascal !
Merci Yann, j’apprécie toujours tes encouragements!
Excellent !
De l’humour et de la bonne théologie ! Je suis comblé.
Il me semble que les échanges récents entre Luthériens et Catholique ont essayé d’affirmer la même chose que votre ami catholique non ?
Voir par exemple :
http://www.protestants.org/index.php?id=1697
Ironiquement ils ne sont ni catholiques ni protestants au sens historique…
Bonne article.
Si je comprends bien donc, la grande différence sur la justification entre Catholique et Protestants réside donc sur ces 2 points:
– l’infusion de la grâce (avec participation du chrétien) :
Avec les Catholiques par une purification (exercée par Dieu dans la souffrance la plupart du temps afin d’entraîner le chrétien à penser et œuvrer de manière juste) qui débute au baptême (donc par le début de la foi) et qui en arrivant à son terme, justifie le croyant auprès de Dieu. D’où la nécessité du purgatoire pour le commun du mortel afin de finir cette purification.
Dans cette optique, la foi est indispensable, car sans elle, l’action de purification n’a point d’effet et s’arrête. Et sans purification, pas de salut.
D’où pour les Catholiques, le salut s’obtient par la grâce et les œuvres. Mais dans les faits, on comprends bien que la foi est celle qui sauve avant tout; car sans foi, pas d’œuvre purifiante, donc pas de salut.
– l’imputation de la justice du Christ (sans participation du Chrétien):
Avec les Protestants par une justification basée sur la foi profonde (=de confiance). La purification n’a aucune importance à part celle d’apporter des fruits et des récompenses par Dieu. Jésus a tout fait et nous ne pouvons rien y apporter que notre foi en lui. Mais il faut une foi vivante, dont découle obligatoirement des oeuvres fructueuses.
Si je résume à la mort physique, d’un côté les catholiques continuent leurs purifications dans le purgatoire, de l’autre les protestants qui vont directement au paradis et sont justifiés auprès de Dieu, en attendant la résurrection.
Est-ce que croire l’un ou l’autre des points, a une importante pour notre salut ? puisque que dans les 2 cas, la foi est à l’origine.
Ou est-ce que une foi imparfaite car erronée sur certains points serait fatal pour notre salut?
Bonjour Alain, c’est un bon résumé de l’essentiel des distinctions sotériologiques entre catholiques et protestants. Pour répondre à votre question, ce n’est pas la foi dans la foi ou la foi dans la justification par la foi seule qui sauve, mais la foi en Christ. On peut ne pas comprendre comment l’homme est sauvé et être sauvé néanmoins parce qu’on place sa foi en Christ et on peut comprendre théoriquement comment l’homme est sauvé et ne pas véritablement croire en Christ…
Le danger avec la conception catholique est qu’il amène souvent le croyant à placer sa foi en autre chose qu’en Christ. En ayant confiance en ses propres oeuvres pour être sauvé il se détourne de l’unique moyen de salut (Mt 7.21-23 ; Lc 18.10-14 ; Ga 5.3-6). Je peux peut-être vous suggérer cette prédication intitulée Les chrétiens qui iront en enfer.