Les chrétiens de plusieurs traditions différentes s’entendent généralement pour affirmer la nécessité de la persévérance dans la foi et l’obéissance pour pouvoir être considérés comme un chrétien authentique. Autrement dit, « un croyant non-pratiquant » est un oxymore puisque la vraie foi est vivante et agissante (Gal 5.6 ; Jc 2.14-26). Cependant, tous n’arrivent pas à cette conclusion de la même manière. Pour certains la persévérance est une condition qui obtient le salut, tandis que pour d’autres elle est un effet nécessaire du salut lui-même.
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Puisque la persévérance est interprétée différemment parmi les chrétiens, l’absence de persévérance (ou la foi temporaire) l’est tout autant. Comment faut-il comprendre l’état de ceux qui « croient pour un temps » (Mc 4.17), mais qui abandonnent la foi par la suite? Ont-ils perdu le salut? Ont-ils même reçu le salut? Peuvent-ils être sauvés ou sont-ils perdus à jamais? Voilà le genre de questions que la doctrine de la persévérance des saints soulève.
Le chapitre 17 de la confession de foi présente cette doctrine en trois paragraphes qui affirment la persévérance des saints comme une manifestation nécessaire de salut. Nous présenterons le contenu de ce chapitre en posant les trois questions suivantes :
1. La persévérance est-elle nécessaire au salut?
2. Qu’est-ce qui me garantit que je vais persévérer jusqu’à la fin?
3. La grâce m’assure-t-elle que je serai préservé des péchés graves?
CHAPITRE 17 – LA PERSÉVÉRANCE DES SAINTS
Par. 1 – Ceux que Dieu a acceptés en son Bien aimé, qu’il a efficacement appelés, et sanctifiés par son Esprit, ceux à qui Il a donné la foi précieuse des élus, ne peuvent ni totalement ni définitivement déchoir de l’état de grâce, mais ils y persévéreront certainement jusqu’à la fin et seront éternellement sauvés. Puisque les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance, il fera naître et croître en eux la foi, la repentance, l’amour, la joie, l’espérance et toutes les grâces de l’Esprit en vue de l’immortalité1. Bien que de nombreux orages et tempêtes se lèveront et les frapperont, ils ne seront jamais capables de les arracher au fondement et rocher auquel ils sont attachés par la foi. Bien que, en raison de l’incroyance et des tentations de Satan, leur perception de la lumière et de l’amour de Dieu puisse être, pour un temps, voilée et obscurcie2, lui demeure toujours le même, et ils auront l’assurance d’être gardés par la puissance de Dieu pour le salut, où ils se réjouiront des richesses qui leur auront été acquises, d’autant qu’ils ont été gravés sur la paume de ses mains, et que leurs noms ont été inscrits de toute éternité dans le livre de vie3.
1. Jn 10.28-29 ; Ph 1.6 ; 2 Tm 2.19 ; 1 Jn 2.19 2. Ps 89.32-33 ; 1 Co 11.32
3. Ml 3.6
Par. 2 – Cette persévérance des saints ne dépend pas de leur libre arbitre, mais de l’immutabilité du décret de l’élection4, lequel découle du libre et immuable amour de Dieu le Père, de l’efficacité du mérite et de l’intercession de Jésus-Christ et de l’union avec lui5, du serment de Dieu6, de la présence permanente de son Esprit, de la semence de Dieu en eux7, et de la nature de l’alliance de grâce8. De tout cela résulte son caractère certain et infaillible.
4. Rm 8.30, 9.11,16 5. Rm 5.9-10 ; Jn 14.19 6. Hé 6.17-18 7. 1 Jn 3.9
8. Jr 32.40
Par. 3 – En raison des tentations de Satan et du monde, de la prédominance de la corruption rémanente en eux, et de la négligence des moyens de sauvegarde, les saints peuvent tomber dans de graves péchés, et pour un certain temps y demeurer9 ; de la sorte, ils provoquent le déplaisir de Dieu, attristent le Saint-Esprit10, et en arrivent à avoir leurs grâces et leurs soutiens diminués11 ; ils ont leur propre cœur endurci et la conscience meurtrie12, ils blessent et scandalisent les autres, et provoquent des jugements temporaires sur eux mêmes13 ; cependant, ils renouvelleront leur repentance et seront gardés par la foi en Christ Jésus jusqu’à la fin14.
9. Mt 26.70,72,74 10. Es 64.5,9 ; Ep 4.30 11. Ps 51.12,14 12. Ps 32.3-4
13. 2 S 12.14 14. Lc 22.32,61-62
Première publication le 4 juillet 2019 @ 0 h 00 min
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Un prêtre catholique m’a écrit le message suivant; je le publie avec sa permission.
Cher Pasteur Denault,
J’ai écouté avec grand intérêt votre podcast sur la persévérance des saints, d’après la confession de foi baptiste de Londres de 1689.
Je voudrais ici faire une petite mise au point au sujet de la position catholique. J’espère qu’elle vous intéressera et vous sera utile.
Vous mentionnez dans ce podcast la doctrine catholique en l’associant à l’arminianisme. En fait, le catholicisme romain admet une pluralité de positions théologiques sur le sujet de la persévérance. Le molinisme tient effectivement comme l’arminianisme que la persévérance dépend en dernière analyse du libre-arbitre de l’homme : il appartient à la volonté humaine de rendre efficace, par son consentement, la grâce de Dieu offerte à tous. Mais d’autres écoles théologiques au sein du catholicisme sont beaucoup plus proches de la position réformée. C’est le cas du thomisme, par exemple, auquel je me rattache personnellement.
Thomistes et calvinistes, en effet, sont d’accord sur le fait que la persévérance finale est un don de Dieu, accordé aux seuls élus, et qu’en vertu de ce don, toujours gratuit, tous les élus seront infailliblement sauvés. Ils sont aussi d’accord sur le fait que c’est la grâce de Dieu, efficace par elle-même, qui garantit la persévérance des saints. Pour les thomistes comme pour les calvinistes, la motion du Saint-Esprit produit le consentement de la volonté au bien salutaire, ainsi que l’enseigne l’apôtre Paul (cf. Ph 2, 13). Celui qui travaille à son salut le fait dans la mesure où Dieu produit en lui le vouloir et le faire selon son dessein bienveillant. Celui qui va au Christ s’approche de lui dans la mesure où le Père l’y attire.
Il y a cependant une différence entre la théologie thomiste de la persévérance et l’approche calviniste. Pour les thomistes, la motion de grâce, bien qu’efficace par elle-même, n’exclut pas dans le libre-arbitre de l’homme la possibilité de résister, mais seulement la résistance effective. Au moment où la grâce agit en lui, l’homme ne résiste jamais à l’attrait du bien, en vertu même de cette grâce qui l’y attire. Seulement, sa volonté garde sa capacité radicale à choisir le mal, même à l’instant où la grâce porte le libre-arbitre au choix du bien. Cette capacité ne s’actualise pas, mais demeure. L’homme peut toujours résister à l’attrait du bien mais, tant que la grâce le porte, il ne résiste pas, parce que Dieu le préserve de la résistance dont il est capable par lui-même. La grâce, en produisant la libre adhésion au bien, conserve au libre-arbitre sa capacité à délaisser ce bien. Au contraire, sauf erreur de ma part, pour les calvinistes, la motion du Saint-Esprit exclut dans la volonté humaine à la fois la résistance actuelle et la possibilité même de résister. C’est la thèse de la grâce irrésistible, si j’ai bien compris votre position.
Cette divergence me semble venir de ce que les calvinistes, à la différence des thomistes, méconnaissent en cette matière la distinction métaphysique entre puissance et acte, telle que l’a mise au point la philosophie aristotélicienne. Pour les thomistes, on peut très bien pouvoir pécher sans pécher de fait. D’après Thomas d’Aquin, ces deux choses sont donc incompatibles : « Pierre est mû par la grâce à persévérer » et « Pierre ne persévère pas ». En revanche, ces deux choses ne s’excluent pas : « Pierre est mû par la grâce à persévérer » et « Pierre peut ne pas persévérer ». La grâce est efficace de ce pour quoi elle est donnée, en l’occurrence de la persévérance, mais sans rendre nécessaire la persévérance qu’elle produit infailliblement.
Selon moi, c’est là que se situe la différence essentielle (mais assez subtile pour le commun des fidèles) entre thomisme et calvinisme en cette matière. Pour le reste, thomistes et calvinistes conviendront que si Dieu a décrété que telle personne persévèrera jusqu’à la fin, elle persévèrera à coup sûr jusqu’à la fin : rien ne la fera déchoir, et c’est parce que Dieu l’a décrété de toute éternité dans sa volonté souveraine qu’il en sera ainsi.
La condamnation du jansénisme rend intenable, pour un catholique, la notion de grâce irrésistible telle que la conçoit le calvinisme, mais pas celle de grâce efficace par elle-même, telle que la conçoit Thomas d’Aquin et son école. À l’époque des grandes querelles sur ce sujet, le pape Benoît XIV a déclaré la parfaite orthodoxie (d’un point de vue catholique) du thomisme en matière de grâce et de prédestination, contre les molinistes qui voulaient faire condamner comme hérétiques les disciples de saint Thomas. Mais l’Église romaine n’a hélas jamais condamné le molinisme. De ce fait, la grande majorité des catholiques, qu’ils soient simples fidèles ou théologiens de métier, est aujourd’hui plus proche du molinisme (ou de l’arminianisme) que du thomisme. Même beaucoup de ceux qui se prétendent disciples de saint Thomas s’écartent de son enseignement. On conçoit communément parmi les catholiques le libre-arbitre comme échappant à la souveraineté divine, ce qui s’oppose manifestement à l’enseignement des Écritures et à la pratique chrétienne de la prière. À quoi bon demander au Seigneur de convertir les pécheurs, de donner aux saints de persévérer jusqu’au bout et d’incliner le coeur des hommes au bien, si l’efficacité de la grâce de Dieu dépend en définitive de l’homme seul ? Cependant la position officielle de l’Église incline en faveur au thomisme, comme le montre le Catéchisme de l’Église catholique (n° 263, 303).
Merci en tout cas de votre travail au service de la Parole de Dieu. Je tiens à vous dire mon admiration pour la clarté de vos enseignements et surtout pour la foi qui les inspire.
Dans le Christ Jésus