- Pour le maître-chantre. À Jedithun. Pour Asaph. Psaume.
- Ma voix s’élève à Dieu, je veux crier ; ma voix s’élève à Dieu et il me prête l’oreille ;
- au jour de ma détresse je cherche le Seigneur ; pendant la nuit ma main est étendue sans relâche, mon âme refuse d’être consolée ;
- je me souviens de Dieu, je veux gémir, méditer, et mon esprit est assombri (Sélah).
- Tu tiens mes paupières ouvertes, je suis agité et ne puis parler ;
- je pense aux jours d’autrefois, aux années du temps passé ;
- pendant la nuit je veux me souvenir de mon cantique ; je médite en mon cœur et mon esprit examine.
- Est-ce pour toujours que le Seigneur a rejeté? ne se montrera-t-il plus favorable?
- Sa bonté a-t-elle cessé pour jamais? la promesse est-elle annulée pour toutes les générations?
- Dieu a-t-il oublié de faire grâce? a-t-il en sa colère retenu ses compassions? (Sélah).
- Alors je dis : C’est là ma maladie, le changement de la droite du Très-Haut.
- Je me souviendrai des actions de l’Éternel, oui, je veux me souvenir de tes merveilles d’autrefois,
- méditer sur toutes tes œuvres, réfléchir à tes hauts faits.
- Ô Dieu! ta voie est dans la sainteté ; quel dieu est grand comme Dieu!
- Toi, tu es un Dieu qui opère des merveilles : tu as fait connaître ta puissance parmi les peuples ;
- par ton bras tu as racheté ton peuple, les enfants de Jacob et de Joseph. (Sélah).
- Les eaux te virent, ô Dieu! les eaux te virent, elles furent tourmentées, et les flots furent ébranlés.
- Les nuages répandirent des eaux, les nuées firent entendre une voix, tes flèches aussi volèrent ;
- ton tonnerre retentit dans le tourbillon, les éclairs illuminèrent le monde, la terre fut ébranlée et trembla.
- Dans les grandes eaux furent tes sentiers, et tes traces ne furent point reconnues.
- Tu conduisis ton peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron.
Le psalmiste paraît avoir voulu dépeindre dans ce Psaume les sentiments d’un Israélite fidèle dans un temps où sa nation se trouve dans une grande angoisse et particulièrement dans la crise des derniers jours. Les rabbins Jarchi et Kimchi le rapportent à l’état actuel d’Israël. La première partie de la prière qu’il adresse à l’Éternel (2-10) respire encore un profond découragement ; il fait d’inutiles efforts pour trouver la consolation : il ne parvient pas à comprendre comment le misérable état dans lequel Dieu a plongé son peuple peut s’accorder avec les délivrances qu’il lui a accordées dans le passé. Cependant la seconde partie du Psaume (11-21) nous montre une âme qui a retrempé sa foi dans les grandes scènes de l’histoire, particulièrement dans le souvenir de la sortie d’Égypte ; ses doutes sur la fidélité de l’Éternel se sont dissipés et il s’écrie plein d’espoir : Ô Dieu! ta voie est dans la sainteté! Quel dieu est grand comme Dieu! « Le psalmiste nous fait connaître la rude tentation à laquelle il avait été exposé lorsqu’il n’était pas parvenu à trouver la face de Dieu. Dans des épreuves semblables ce n’est jamais dans notre propre cœur que nous pourrons trouver la consolation, ce n’est que dans la considération attentive des voies de Dieu » (Rieger). « Ce Psaume est une belle description de ce qui se passe dans une âme affligée, qui est ballottée entre les souvenirs des grâces qu’elle a reçues précédemment et le sentiment des maux qui l’accablent dans le moment présent ; ses prières sont troublées et ressemblent à une mer en tourmente » (Horne). C’est d’ailleurs une prière qui convient au fidèle dans ses afflictions particulières, aussi bien que dans celles qu’il a portées avec son peuple comme citoyen, ou avec l’Église dont il est membre.
Verset 1. Pour le maître-chantre. À Jedithun. Pour Asaph. Psaume.
En expliquant le titre du Ps 39 nous avons dit qui était Jedithun. Il est à remarquer qu’ici le nom de ce maître-chantre est précédé de la même préposition (en hébreu hal) que dans le titre du Ps 62 (voyez l’explication de ce Psaume). On peut supposer que ce Psaume remis, comme ceux qui le précèdent et le suivent, à Asaph, avait été plus spécialement confié aux soins de Jedithun[1].
Verset 2. Ma voix s’élève à Dieu, je veux crier ; ma voix s’élève à Dieu et il me prête l’oreille ;
« Voilà la direction que doivent prendre nos cris ; ils doivent s’adresser à Dieu et non au monde, qui n’a ni la volonté ni le pouvoir de venir à notre secours » (Horne). — Les verbes dans ce verset et dans plusieurs des suivants ont en hébreu une forme (le futur paragogique) qui marque un désir énergique d’accomplir l’action qui est indiquée par le verbe et dont nous avons essayé d’exprimer la valeur en ajoutant je veux. — Hengstenberg considère le dernier verbe comme un impératif, ce qui est admissible au point de vue grammatical, mais peu naturel parce qu’il est précédé de la conjonction et. Il traduit : ma voix s’élève à Dieu, et toi, écoute- moi!
Verset 3. au jour de ma détresse je cherche le Seigneur ; pendant la nuit ma main est étendue sans relâche, mon âme refuse d’être consolée ;
St-Augustin dit avec raison que pour l’Église fidèle la nuit, c’est tout le temps qui doit s’écouler encore jusqu’à la glorieuse venue de Jésus-Christ. — Le verbe que nous rendons par étendre signifie proprement répandre, verser ; il exprime très bien la ferveur et la persévérance dans la prière. « Nous devons lutter contre le désespoir de telle manière que la souffrance ne ferme pas la porte à nos prières » (Calvin). Nous mentionnons, mais sans les approuver, l’explication de la version chaldéenne : ma main est trempée (de larmes) et celle de Hengstenberg : ma main est sans force. — La belle expression : refuser d’être consolé se retrouve Gn 37.5 ; Jr 31.15.
Verset 4. je me souviens de Dieu, je veux gémir, méditer, et mon esprit est assombri (Sélah).
Gémir expliqué à l’occasion de Ps 42.6. — Être assombri expliqué à l’occasion de Ps 61.3.
Verset 5. Tu tiens mes paupières ouvertes, je suis agité et ne puis parler ;
Le premier hémistiche se traduirait littéralement : Tu retiens les gardes de mes yeux. — Le verbe que nous rendons par être agité est dérivé du mot hébreu qui signifie les pas et peint très bien l’état d’un homme dont le malaise intérieur se trahit par beaucoup d’allées et de venues. — « Ses malheurs l’accablaient et l’étouffaient au point qu’il ne pouvait plus donner passage à sa voix » (Calvin).
Verset 6. je pense aux jours d’autrefois, aux années du temps passé ;
La pensée du fidèle se porte sur ses propres expériences et sur celles de son peuple.
Verset 7. pendant la nuit je veux me souvenir de mon cantique ; je médite en mon cœur et mon esprit examine.
« C’est pendant la nuit, quand nous sommes seuls, éloignés de la vue des hommes, qu’il nous vient beaucoup de pensées et d’inquiétudes[2] » (Calvin). Le psalmiste pense aux bienfaits de Dieu qui lui avaient donné l’occasion de le célébrer par des cantiques d’actions de grâces. — David ne dit pas ce qu’il veut examiner. Le plus simple est de sous-entendre d’après Abenesra : le contraste qui existe entre l’heureux passé et le triste présent et les causes de cette différence. C’est la pensée qui est développée dans les versets suivants.
Verset 8. Est-ce pour toujours que le Seigneur a rejeté? ne se montrera-t-il plus favorable?
Comparez Ps 74.1.
Verset 9. Sa bonté a-t-elle cessé pour jamais? la promesse est-elle annulée pour toutes les générations?
Le mot (omer) que nous rendons par promesse signifie simplement parole, mais les commentateurs, à commencer par Kimchi, s’accordent à lui donner ici ce sens spécial. Calvin fait remarquer qu’il est dans la vie du fidèle des temps où il a beaucoup de peine à se faire l’application personnelle des promesses de Dieu, en sorte qu’elles lui paraissent comme annulées. Ps 74.9.
Verset 10. Dieu a-t-il oublié de faire grâce? a-t-il en sa colère retenu ses compassions? (Sélah).
« Plus les assauts de la tentation devenaient violents et plus le psalmiste s’appuyait sur la conviction que la bonté est si intimement unie à l’essence de Dieu qu’il est impossible qu’il ne se montre pas miséricordieux » (Calvin).
Verset 11. Alors je dis : C’est là ma maladie, le changement de la droite du Très-Haut.
Ce verset est difficile à expliquer à cause de sa concision ; il y a littéralement : J’ai dit : Ma maladie ceci, changement de la droite du Très-Haut. Il nous paraît que la traduction la plus naturelle, parce qu’elle lie le mieux les deux parties du verset entre elles et avec le contexte, est celle que nous donnons et qui se rapproche beaucoup de celles des versions de Vivien et de Perret- Gentil. Le psalmiste commence cette nouvelle strophe en reconnaissant que sa maladie (morale), son découragement profond, provenait de ce qu’il croyait (comme il le dit dans les versets précédents) qu’il s’était fait quelque changement en Dieu, dans ses dispositions et ses voies envers son peuple. C’est afin de repousser encore plus énergiquement cette erreur désolante qu’il en avait appelé de nouveau (dans les versets suivants) aux enseignements de l’histoire. La version chaldéenne, la version hollandaise et, parmi les commentateurs, Michaëlis, Ilorne, Vaihinger, traduisent : Alors j’ai dit : C’est là ma maladie (savoir l’état de souffrance décrit dans la première strophe) ; mais la droite du Très-Haut peut opérer un changement (en bien). Cette pensée d’espérance commencerait aussi la seconde strophe d’une manière assez naturelle ; mais si le psalmiste avait voulu l’exprimer, il aurait probablement placé entre le premier et le second hémistiche de notre verset quelque conjonction indiquant que le dernier devait renfermer un sentiment nouveau. On peut faire la même objection contre la traduction des rabbins Abenesra et Kimchi, qui arrivent à peu près au même résultat, tout en donnant un sens différent (mais également justifiable) à l’un des mots du second hémistiche : J’ai dit : C’est là ma maladie ; mais (je veux me rappeler) les années de la droite du Très-Haut (c’est-à-dire, ses œuvres dans le passé). L’explication de Hengstenberg est peu naturelle : J’ai dit : c’est là ma maladie, les années de la droite du Très-Haut (les souffrances que Dieu m’a imposées et que je dois supporter patiemment). La version des Septante traduit le premier hémistiche comme nous, mais le second très inexactement.
Versets 12-13. Je me souviendrai des actions de l’Éternel, oui, je veux me souvenir de tes merveilles d’autrefois, méditer sur toutes tes œuvres, réfléchir à tes hauts faits.
« La vertu merveilleuse de Dieu dont il a usé en tout temps pour protéger les siens, sera suffisante pour surmonter toutes nos douleurs, pourvu que notre esprit s’y attache avec sincérité. Mais si cette pensée ne produit pas tout de suite son effet, il ne faut pas nous lasser, il faut persévérer » (Calvin). Cette persévérance est marquée par la forme du verbe qui, dans le second hémistiche, est la même qu’au verset 2.
Verset 14. Ô Dieu! ta voie est dans la sainteté ; quel dieu est grand comme Dieu!
On peut traduire aussi : ta voie est sainte, ou bien comme Calvin : ta voie est dans le sanctuaire (le temple céleste). La pensée demeure la même. Le psalmiste, qui a commencé à retrouver l’espérance et la paix, reconnaît que les dispensations de Dieu sont toujours en harmonie avec ses perfections adorables, bien qu’il nous soit quelquefois difficile de les comprendre et de les accepter.
Versets 15-16. Toi, tu es un Dieu qui opère des merveilles : tu as fait connaître ta puissance parmi les peuples ; par ton bras tu as racheté ton peuple, les enfants de Jacob et de Joseph. (Sélah).
Joseph est nommé avec Jacob probablement parce que ce fut par son intervention que la postérité d’Abraham fut conservée au milieu de la famine. La version chaldéenne paraphrase ainsi : les enfants que Jacob a engendrés et que Joseph a nourris. « Quant à nous, chrétiens, nous devons, tout en faisant usage de ces mêmes paroles, fixer notre pensée sur des dispensations analogues, mais plus importantes encore » (Horne).
Verset 17. Les eaux te virent, ô Dieu! les eaux te virent, elles furent tourmentées, et les flots furent ébranlés.
Allusion au passage de la mer Rouge. — Sur l’expression tourmentées, voyez Ps 55.5.
Verset 18. Les nuages répandirent des eaux, les nuées firent entendre une voix, tes flèches aussi volèrent ;
Le livre de l’Exode ne fait pas mention d’un orage lors du passage de la mer Rouge, mais il est fort possible qu’un événement de ce genre ait contribué à la ruine des Égyptiens. — La voix qui part des nuées est le tonnerre (comp. Ps 29.3) et les flèches de Dieu sont les éclairs (comp. Ps 18.15).
Verset 19. ton tonnerre retentit dans le tourbillon, les éclairs illuminèrent le monde, la terre fut ébranlée et trembla.
Ce verset explique les images dont le psalmiste s’est servi dans le précédent.
Verset 20. Dans les grandes eaux furent tes sentiers, et tes traces ne furent point reconnues.
Le troisième hémistiche signifie probablement que les eaux revinrent à leur premier état, et qu’elles engloutirent les Égyptiens lorsque ceux-ci voulurent pénétrer dans le passage qui avait été frayé aux Israélites. Comp. Ex 14.25-28.
Verset 21. Tu conduisis ton peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron.
Il s’agit du voyage à travers le désert, et le psalmiste, en employant l’image d’un troupeau, a voulu exprimer à la fois combien le peuple d’Israël était faible, incapable de se conduire lui-même et de se défendre lui-même, et combien les soins du céleste Berger avaient été efficaces et constants. — « Nous aussi, Seigneur Jésus, nous avons passé la mer Rouge lors de notre baptême et maintenant nous avançons à travers le désert. Mets en nous l’humilité, la douceur, la docilité qui doivent caractériser tes brebis ; donne-nous des pasteurs intelligents et vigilants, et tiens-toi toujours bien près d’eux et de nous, en sorte que nous puissions parvenir heureusement au pays du repos éternel! » (Horne).
Pasteur Armand de Mestral, Commentaire sur le livre des Psaumes – Tome 2, p. 49-55
[1] On pourrait aussi dans ce Psaume ainsi que dans le Ps 62 donner à la préposition qui précède Jedithun un autre sens qu’elle a assez fréquemment : salon, suivant, d’après la manière. Elle indiquerait alors que le Psaume devait être chanté d’après un certain mode musical inventé ou adopté par Jedithun, de même que nous lisons : sur l’octave, dans les titres des Ps 6 et 12.
[2] La grammaire permet aussi de traduire, comme Hengstenberg : Je veux me souvenir de mon cantique de la nuit (chanté pendant la nuit).