- Pour le Maître-Chantre. Pour les enfants de Coré. Enseignement.
- Ô Dieu, nous avons entendu de nos oreilles, nos pères nous ont raconté, l’œuvre que tu as opérée en leur temps, aux jours d’autrefois.
- C’est toi qui, pour les planter, as de ta main dépossédé des nations, toi qui, pour les étendre, as détruit des peuples.
- Car ce ne fut point par leur épée qu’ils conquirent le pays, et ce ne fut point leur bras qui les délivra, mais ce fut ta droite, ton bras et la lumière de ta face ; c’est parce que tu avais pris plaisir en eux.
- Toi qui es le même, mon Roi, ô Dieu! ordonne les délivrances de Jacob!
- En toi nous renverserons nos ennemis, en ton nom nous foulerons nos adversaires.
- Car ce n’est point en mon arc que je me confie, ce n’est point mon épée qui me délivrera.
- Mais c’est toi qui nous as délivrés de nos ennemis et qui as couvert de confusion ceux qui nous haïssaient.
- En Dieu nous nous glorifions tous les jours et nous célébrerons ton nom éternellement (Sélah).
- Et pourtant tu nous as rejetés, tu nous as couvert d’opprobre, et tu ne sors plus avec nos armées!
- Tu nous as fait reculer devant l’ennemi, et ceux qui nous haïssent se sont emparés du butin.
- Tu nous as livrés comme des brebis que l’on mange, tu nous as dispersés parmi les nations.
- Tu as vendu ton peuple pour peu de chose, et tu ne t’es pas enrichi de son prix.
- Tu nous as livrés aux affronts de nos voisins, à la risée et aux railleries de nos alentours.
- Tu as fait de nous un proverbe parmi les nations, et l’on hoche la tête parmi les peuples à notre sujet.
- Ma honte est devant moi tous les jours et la confusion me couvre le visage,
- à cause de la voix de celui qui insulte et qui outrage à la vue de l’ennemi et du vindicatif.
- Tout ceci nous est arrivé ; et nous ne t’avons point oublié, nous n’avons point violé ton alliance.
- Notre cœur ne s’est point retiré en arrière, et nos pas n’ont point dévié de ton sentier,
- lorsque tu nous as écrasés dans le lieu des chacals et que tu nous as couverts d’une ombre de mort.
- Si nous eussions oublié le nom de notre Dieu et étendu nos mains vers un dieu étranger,
- Dieu ne s’en serait-il point enquis? lui qui connaît les secrets du cœur.
- Car à cause de toi nous sommes égorgés tous les jours, estimés comme des brebis de boucherie.
- Lève-toi donc! pourquoi dors-tu, Seigneur? réveille-toi! ne rejette pas à perpétuité.
- Pourquoi caches-tu ta face? pourquoi oublies-tu notre affliction et notre oppression?
- Car notre âme est courbée dans la poussière et notre ventre est collé à la terre.
- Lève-toi pour notre secours et rachète-nous à cause de ta bonté!
Ce Psaume est une prière du peuple d’Israël qui, dans un temps de très grande détresse, implore le secours du Dieu de ses pères. On a fait de nombreuses conjectures sur l’époque à laquelle on peut le rapporter. Les commentateurs qui le croient d’un autre auteur que de David, pensent, les uns aux persécutions que les Juifs eurent à endurer de la part d’Antiochus Épiphane, d’autres à la captivité du roi Jehojachin (2 R 24), d’autres encore au temps du prophète Joël. Calvin le croit composé par quelque prophète pendant la captivité de Babylone. Ceux qui l’attribuent à David supposent qu’il peut être question d’une victoire remportée par les Iduméens pendant son règne (1 R 11.15) ; mais il se rapporte évidemment à un désastre beaucoup plus considérable. Il nous paraît beaucoup plus probable que David, en écrivant ce Psaume, a composé une prophétie, qui comprend les malheurs du peuple d’Israël à différentes époques, et particulièrement la captivité de Babylone et la destruction de Jérusalem par les Romains, puis enfin la persécution de l’Antichrist qui est encore à venir. Mais nous ne devons pas nous arrêter à l’Israël selon la chair ; St-Paul nous enseigne à rapporter aussi cette prophétie aux tribulations de l’Église chrétienne par la manière dont il cite le verset 23 de ce Psaume dans Rm 8.36. Calvin en fait un usage semblable quand il dit : « Jésus-Christ notre Sauveur est apparu, non point pour que la chair puisse se réjouir sur la terre, mais afin que nous combattions sous la croix jusqu’à ce que nous soyons reçus dans le repos du royaume des cieux. » St-Augustin voit dans ce Psaume une prédiction des souffrances des martyrs, et il dit qu’il est intitulé Maskil (enseignement), parce qu’il se rapporte aux décrets mystérieux de Dieu envers son peuple. « Ce Psaume, dit Rieger, montre bien en effet combien les voies de Dieu sont mystérieuses ; Dieu est un Dieu qui se cache, et lors même que nous avons la foi, nous ne devons pas nous imaginer qu’il soit, en quelque manière, toujours à notre disposition ; c’est par des détours, par des chemins en apparence contraires qu’il arrive au but, et quand nous le voyons renverser ce que lui-même a construit, nous devons croire que son royaume ne souffre pourtant aucune perte. » Ce Psaume est utile à méditer dans les temps de persécutions et toutes les fois que nous avons à souffrir pour la cause du Seigneur.
Dans la première strophe, le peuple rappelle à Dieu les faveurs qu’il lui avait accordées dans le passé (vv. 2-9). Dans la seconde, il fait le tableau des malheurs et des humiliations qu’il avait à endurer (10-17). Dans la troisième, il se rend témoignage qu’il n’avait pas mérité de si grands maux, puisqu’il était demeuré fidèle à son Dieu (18-23). Enfin le Psaume se termine par une prière dans laquelle le peuple demande à Dieu de le délivrer par cette puissance dont il avait si souvent éprouvé les effets (24-27). — Pour l’explication du titre voyez Ps 32 et 42.
Verset 2. Ô Dieu, nous avons entendu de nos oreilles, nos pères nous ont raconté, l’œuvre que tu as opérée en leur temps, aux jours d’autrefois.
L’œuvre dont il s’agit est celle de la conquête du pays de Canaan, conquête qui peut aussi être considérée comme un type des victoires de l’Église sur le monde païen. Les délivrances accordées aux fidèles des temps passés et qui nous sont connues par les Saintes Écritures, ou par d’autres documents historiques, sont pour nous un encouragement dans nos épreuves, parce que les fidèles de tous les temps ne forment qu’un seul corps et que Dieu demeure le même. Comp. Ps 22.4-6.
Verset 3. C’est toi qui, pour les planter, as de ta main dépossédé des nations, toi qui, pour les étendre, as détruit des peuples.
Planter. Image d’une vigne ; elle se retrouve Ps 80.9 ; Es 5.7. Voyez aussi Ex 15.17. — Pour les étendre ; ces mots se rapportent aux Israélites, de même que la fin du premier hémistiche. C’est là le sens donné par Calvin et d’autres commentateurs, ainsi que par la version syriaque, et il paraît appuyé par Ps 80.12. Cependant nous devons faire observer que le verbe hébreu (chalak), dans la forme sous laquelle il se trouve ici, a plus souvent le sens d’expulser, chasser, en sorte que l’on pourrait traduire comme l’ont fait les Septante et d’autres anciennes versions : tu les as expulsés. Ces mots se rapporteraient alors aux Cananéens. Mais le parallélisme ne serait plus aussi complet (étendre correspond à planter, comme détruire à déposséder).
Verset 4. Car ce ne fut point par leur épée qu’ils conquirent le pays, et ce ne fut point leur bras qui les délivra, mais ce fut ta droite, ton bras et la lumière de ta face ; c’est parce que tu avais pris plaisir en eux.
Ce verset démontre que c’est bien par la puissance de Dieu que le pays de Canaan fut conquis et non point par la bravoure ou l’habileté des Israélites, comme aussi que cette faveur leur avait été accordée, non à cause de quelque mérite qui fût en eux, mais par un effet de l’amour gratuit de Dieu et de son élection éternelle (car tu avais pris plaisir en eux). « Les hommes ensevelissent les bienfaits de Dieu dans l’oubli principalement parce qu’ils s’imaginent posséder quelque chose en propre. C’est à l’amour gratuit de Dieu que l’Église doit son existence et toutes les grâces dont elle jouit ; et si nous-mêmes nous avons été placés dans l’Église et jouissons de la protection de Dieu, c’est en Dieu seul qu’il faut en chercher la cause » (Calvin). Comp. Ps 85.2 ; Dt 9.4 ; Ep 1.5.
Verset 5. Toi qui es le même, mon Roi, ô Dieu! ordonne les délivrances de Jacob!
St-Augustin rend ainsi le sens du verset : « Tu es toi-même, car tu n’as pas changé ; je sais que les temps sont changés, mais le Créateur ne l’est pas. » Comp. Es 43.10,13 ; Hé 13.8). — Le psalmiste emploie quelquefois le singulier (mon roi), parce qu’il se considère comme ne faisant qu’une seule et même personne avec son peuple. — Pour le second membre comp. Ps 42.6,9.
Verset 6. En toi nous renverserons nos ennemis, en ton nom nous foulerons nos adversaires.
Expression de la foi qui trouve un encouragement dans le passé.
Verset 7. Car ce n’est point en mon arc que je me confie, ce n’est point mon épée qui me délivrera.
« Dans nos luttes spirituelles et temporelles nous devons user des moyens qui sont à notre portée, mais non y mettre notre confiance ; c’est l’homme qui combat, mais c’est Dieu qui donne la victoire » (Horne).
Verset 8. Mais c’est toi qui nous as délivrés de nos ennemis et qui as couvert de confusion ceux qui nous haïssaient.
Ce verset se rapporte non pas aux délivrances passées, mais à celles que le peuple désire et attend ; c’est ce que St-Augustin fait bien comprendre : « Souvent les prophètes parlent de l’avenir comme étant passé, parce que devant Dieu les choses à venir sont aussi certaines que si elles étaient passées. Pour nous, il n’y a de certain que ce qui est passé ; quand une chose est passée, nous savons qu’il est impossible qu’elle ne soit pas arrivée. »
Verset 9. En Dieu nous nous glorifions tous les jours et nous célébrerons ton nom éternellement (Sélah).
Le psalmiste exprime sa foi à la continuité des bienfaits de Dieu.
Versets 10-12. Et pourtant tu nous as rejetés, tu nous as couvert d’opprobre, et tu ne sors plus avec nos armées! Tu nous as fait reculer devant l’ennemi, et ceux qui nous haïssent se sont emparés du butin. Tu nous as livrés comme des brebis que l’on mange, tu nous as dispersés parmi les nations.
Le verset 10 et les deux suivants renferment une émouvante peinture du triste état auquel était réduit le peuple d’Israël dans la bouche duquel le psalmiste a placé cette prière. — Pour le second hémistiche comp. 2 S 5.24.
Versets 13-14. Tu as vendu ton peuple pour peu de chose, et tu ne t’es pas enrichi de son prix. Tu nous as livrés aux affronts de nos voisins, à la risée et aux railleries de nos alentours.
Comp. Dt 32.30. Des Juifs furent vendus comme esclaves au temps des Maccabées. Voyez 2 M 5.24-27. — L’idée renfermée dans le second membre est que Dieu a fait si peu de cas de son peuple qu’il l’a laissé vendre à vil prix. La traduction que nous donnons est celle des Septante, de Kimchi et de Rosenmûller. De Wette et d’autres donnent une traduction également admissible et qui renferme le même sens : tu n’as pas fait hausser son prix.
Versets 15-16. Tu as fait de nous un proverbe parmi les nations, et l’on hoche la tête parmi les peuples à notre sujet. Ma honte est devant moi tous les jours et la confusion me couvre le visage,
Les malheurs décrits dans le verset 15 sont de ceux qui avaient été annoncés par Moïse. Voyez Dt 28.37. — Pour le second hémistiche comp. Ps 22.8.
Verset 17. à cause de la voix de celui qui insulte et qui outrage à la vue de l’ennemi et du vindicatif.
Le vindicatif. Comp. Ps 8.3.
Verset 18. Tout ceci nous est arrivé ; et nous ne t’avons point oublié, nous n’avons point violé ton alliance.
Parmi les commentateurs, les uns, comme Hengstenberg, pensent qu’il est question dans ce verset et les suivants de la fidélité du peuple antérieurement à ses épreuves, d’autres, comme Calvin, y voient sa fidélité pendant l’épreuve. Il nous paraît que la première explication s’accorde mieux avec l’ensemble du Psaume. Quelle que soit l’explication qu’on adopte, on peut appliquer la remarque suivante de Rieger : « On peut être surpris de ce que le peuple fait autant valoir ses mérites et sa fidélité envers Dieu ; mais le fait est que le Saint-Esprit, qui soutient les fidèles dans leurs prières, leur inspire, suivant les circonstances et leur état spirituel, tantôt des paroles d’humiliation, tantôt la joie et la force que donne le témoignage d’une bonne conscience. »
Verset 20. lorsque tu nous as écrasés dans le lieu des chacals et que tu nous as couverts d’une ombre de mort.
Le psalmiste reprend le tableau des malheurs du peuple ; ils sont représentés sous l’image d’un pays désert, habité par des bêtes sauvages. Comp. Jr 9.10, 10.22. — L’ombre de la mort. Comp. Ps 23.4. — Hengstenberg et d’autres traducteurs lient étroitement ce verset avec le précédent et disent : nos pas n’avaient point dévié de ton sentier, pour que tu nous écrasés dans le lieu des chacals, etc. Cette traduction est admissible, cependant celle que nous donnons nous paraît plus naturelle.
Verset 21. Si nous eussions oublié le nom de notre Dieu et étendu nos mains vers un dieu étranger,
Calvin fait remarquer avec raison qu’il y a bien des manières d’oublier Dieu et de servir des dieux étrangers. « Tout en prononçant le nom du vrai Dieu, on peut se fabriquer un Dieu à sa façon. Quand le diable ne réussit pas tout d’abord à nous arracher tout sentiment religieux, il cherche à nous persuader qu’il nous faut chercher un autre Dieu, ou bien que nous devons nous réconcilier avec Dieu d’une autre manière que nous ne l’avons fait jusqu’ici et chercher la certitude de sa grâce ailleurs que dans la loi et l’Évangile. Dans ce verset les fidèles Israélites déclarent que leur Dieu leur a suffi et que leurs espérances n’ont point été divisées. »
Verset 22. Dieu ne s’en serait-il point enquis? lui qui connaît les secrets du cœur.
« Toutes les fois que nous nous présentons devant Dieu, souvenons-nous qu’il connaît les cœurs, en sorte que nous ne pourrions pas réussir à le tromper » (Calvin).
Verset 23. Car à cause de toi nous sommes égorgés tous les jours, estimés comme des brebis de boucherie.
« St-Paul cite ces paroles et montre qu’elles dépeignent l’état ordinaire de l’Église. Un décret divin nous a destinés à porter la croix ; pour autant que nous sommes adoptés en Christ nous sommes livrés à la boucherie. Ne nous laissons donc pas effrayer par l’amertume de la croix » (Calvin). Comp. Mt 10.22 ; 1 Pi 4.14.
Verset 24. Lève-toi donc! pourquoi dors-tu, Seigneur? réveille-toi! ne rejette pas à perpétuité.
Voyez Ps 7.7.
Verset 25. Pourquoi caches-tu ta face? pourquoi oublies-tu notre affliction et notre oppression?
Voyez Ps 9.13, 10.11.
Versets 26-27. Car notre âme est courbée dans la poussière et notre ventre est collé à la terre. Lève-toi pour notre secours et rachète-nous à cause de ta bonté!
Sur l’expression : racheter voyez Ps 25.22. Calvin fait remarquer que l’auteur avait sans doute en vue la grande rédemption, la délivrance du péché, ce qui nous montre que les fidèles, tout en parlant de leur fidélité, ne mettaient leur confiance que dans l’amour gratuit de Dieu.
Pasteur Armand de Mestral, Commentaire sur le livre des Psaumes, p. 302-308