- Pour le Maître-Chantre. Sur la biche de l’aurore. Psaume pour David.
- Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m’as-tu abandonné, te tenant loin de ma délivrance et des paroles de mon rugissement?
- Mon Dieu! je crie le jour et tu ne réponds point, et la nuit, et point de repos pour moi!
- Et cependant tu es le Saint, tu sièges au milieu des louanges d’Israël!
- En toi nos pères se sont confiés ; ils se sont confiés et tu les as délivrés ;
- ils ont crié vers toi et ils ont échappé ; en toi ils se confièrent et ne furent pas confus.
- Mais moi je suis un ver, et non point un homme ; l’opprobre des humains, le méprisé du peuple.
- Tous ceux qui me voient se moquent de moi, ils écartent les lèvres, ils secouent la tête :
- « Il s’est remis à l’Éternel ; qu’il le délivre, qu’il le dégage, puisqu’il met son plaisir en lui! »
- Car c’est loi qui m’as tiré du ventre, qui m’as protégé sur le sein de ma mère ;
- sur toi je fus jeté dès la matrice, dès le ventre de ma mère tu fus mon Dieu!
- Ne t’éloigne pas de moi, car la détresse est proche, et il n’y a personne qui aide!
- Des taureaux nombreux m’environnent, les puissants de Bassan me cernent ;
- ils ouvrent leur gueule contre moi, comme le lion qui déchire et qui rugit.
- Je m’écoule comme de l’eau, et tous mes os se disloquent ; mon cœur est comme de la cire, il se fond au milieu de mes entrailles ;
- ma vigueur est desséchée comme l’argile, ma langue s’attache à mon palais, et tu m’as couché dans la poussière de la mort.
- Car des chiens m’environnent, une horde de malfaiteurs m’enveloppe ; ils ont percé mes mains et mes pieds.
- Je pourrais compter tous mes os, et eux, ils contemplent, ils jouissent de me voir.
- Ils se partagent mes vêtements, et tirent au sort pour ma robe.
- Toi donc, ô Éternel, ne te tiens pas loin! ô ma Force! hâte-toi de me secourir!
- Délivre ma personne de l’épée et mon unique de la patte du chien!
- Sauve-moi de la gueule du lion, exauce-moi contre les cornes des buffles!
- J’annoncerai ton nom à mes frères, je te célébrerai au milieu de l’assemblée.
- Vous qui craignez l’Éternel, célébrez-le! vous, toute la postérité de Jacob, glorifiez-le : vous, toute la postérité d’Israël, tremblez devant Lui!
- Car il n’a point méprisé, point rejeté l’affliction de l’affligé ; il ne lui a point caché sa face, et quand il a crié vers lui, il a écouté.
- De par toi je chanterai dans une grande assemblée ; j’acquitterai mes vœux en présence de ceux qui le craignent.
- Les débonnaires mangeront et seront rassasiés, ceux qui cherchent l’Éternel le célébreront ; votre cœur vivra éternellement.
- Tous les bouts de la terre se souviendront et retourneront à l’Éternel ; toutes les familles des nations se prosterneront devant ta face.
- Car à l’Éternel appartient le règne, et il domine sur les nations.
- Tous les riches de la terre mangeront et se prosterneront ; et devant sa face s’inclineront, tous ceux qui descendent dans la poussière, et qui ne conservent pas leur vie.
- La postérité le servira, elle sera comptée pour le Seigneur d’âge en âge ;
- on viendra et on annoncera sa justice au peuple qui naîtra ; car c’est Lui qui a accompli.
La lecture de ce remarquable Psaume fait déjà pressentir que les souffrances dont il contient un si émouvant tableau ne peuvent pas être celles du psalmiste et qu’il doit avoir un sens prophétique, et se rapporter au Messie. Mais nous n’en pouvons plus douter lorsque nous voyons notre Seigneur Jésus-Christ faire usage sur la croix des paroles contenues dans le premier verset et les Apôtres en citer plusieurs passages, comme ayant trouvé leur accomplissement en la personne de leur divin Maître. Ainsi St-Matthieu après avoir raconté le partage des vêtements de Jésus, ajoute : « afin que ce qui avait été dit par un prophète fût accompli, » puis il cite le verset 19 de notre Psaume (Mt 27.35). (Voyez aussi Jean 19.24 ; Hé 2.11-12). Aussi l’Église des premiers siècles, soumise à l’autorité des Apôtres, s’accordait à appliquer ce Psaume à Jésus-Christ. Justin Martyr qui écrivait son apologie dans la seconde moitié du IIe siècle, en cite plusieurs passages comme autant de prophéties incontestables et incontestées. St-Augustin dit : « La passion de Jésus-Christ y est exposée aussi clairement que dans l’Évangile. Ce Psaume est comme un héraut qui annonce l’arrivée du juge. »
Les commentateurs juifs, sentant combien cette prophétie était importante pour la cause du Christianisme, prirent généralement le parti de soutenir qu’elle se rapportait aux souffrances du peuple juif dans l’exil[1]. Ce qu’il y a de triste c’est qu’il s’est trouvé des Chrétiens qui ont marché sur les traces des Juifs. Les docteurs de l’école rationaliste (De Wette, etc.) ne veulent pas non plus reconnaître dans ce Psaume une prophétie messianique. Les objections qu’ils font sont assez faibles. Ils disent, par exemple, que les plaintes auxquelles le psalmiste se laisse aller sont trop violentes et trop amères pour être dignes du Fils de Dieu. Mais il faut considérer que notre Seigneur s’était revêtu de notre nature, qu’il était devenu « semblable à nous en toutes choses excepté le péché, » et que dans sa passion il a dû, non-seulement endurer les traitements les plus cruels de la part des hommes, mais encore porter tout le poids de la colère de Dieu. Les Évangélistes nous le montrent aussi, « saisi d’une tristesse mortelle » Mt 26.38, et l’Épître aux Hébreux nous dit que « durant les jours de la chair il offrit avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort. » Hé 5.7. Les rationalistes allèguent encore que d’après ce Psaume c’est la délivrance du juste qui doit être un grand sujet de joie pour le monde entier, tandis que le Nouveau Testament nous présente les souffrances du Christ comme le fondement de l’œuvre du salut. Cette objection n’a pas plus de poids que la première, car le Nouveau Testament nous invite fréquemment à nous réjouir des événements par lesquels notre Sauveur a été délivré de l’abaissement et de la mort, et à considérer sa résurrection et son ascension comme un sceau que Dieu a apposé à toute son œuvre. « Il a été livré pour nos offenses et il est ressuscité pour notre justification. » Rm 4.25.
Nous ne nous arrêterons pas plus longtemps aux sophismes de l’école rationaliste et nous dirons plutôt avec le pieux théologien Stier : « Quant à ceux qui se croient assez sages pour devoir rejeter ces choses, nous les plaignons de tout notre cœur de ce qu’ils possèdent une pareille sagesse, et en fait de théologie et d’exégèse, nous aimons beaucoup mieux rester à l’école de notre Seigneur Jésus-Christ. » On peut cependant admettre avec Calvin et la plupart des théologiens orthodoxes, que tandis que le psalmiste était poussé par l’Esprit de prophétie à représenter plusieurs siècles à l’avance, « les souffrances du Christ et la gloire dont elles seraient suivies » 1 Pi 1.11, il a trouvé plusieurs des traits de ce tableau dans ses propres circonstances, notamment dans les cruelles persécutions qu’il eut à endurer de la part de Saül.
Le Ps 22 se lit dans l’église anglicane le jour du Vendredi-Saint. Mais ce n’est pas ce jour-là seulement que nous devons le lire et le méditer. Il est éminemment propre à nous faire bien comprendre la doctrine de l’expiation de nos péchés par le sang de Christ, à nous inspirer une reconnaissance profonde pour ce grand bienfait, enfin à nous rendre soumis et patients lorsque notre divin Maître nous appelle à marcher dans la voie douloureuse où il a marché le premier. Rieger adresse à ses lecteurs les questions suivantes : « Quand tu tournes tes regards sur cette image de l’Agneau de Dieu portant les péchés du monde, est-ce avec un cœur brisé, avec repentance, avec foi? Aimes-tu à t’occuper de ces souffrances de Jésus-Christ, à en approfondir les détails? »
Les strophes sont distinctement marquées par la différence du sujet. Dans la première, le psalmiste fait le tableau de ses souffrances (2-22) ; dans la seconde, il annonce que sa délivrance qu’il voit déjà accomplie doit remplir de joie tous les peuples auxquels on la fera connaître (23-32).
Le titre a beaucoup occupé les commentateurs. Nous pensons comme Kimchi, Jarchi, Hengstenberg, que les mots : la biche de l’aurore, doivent indiquer le personnage dont les souffrances sont racontées dans le Psaume. Le psalmiste compare ses ennemis à des animaux féroces (versets 13-14), il est donc assez naturel de supposer qu’il a voulu se représenter lui- même sous l’image d’une biche, comme il le fait au Ps 42. Dans le Ps 11, nous l’avons vu se comparer à un oiseau (Comp. aussi Pr 6.5). Les mots : de l’aurore, indiquent selon quelques auteurs le moment de la journée où la persécution avait lieu, selon Hengstenberg la délivrance qui devait en être l’issue, l’aurore étant une image du bonheur, surtout de celui qui succède à une longue nuit de souffrances. Es 5.20 ; Os 6.3. La première explication nous paraît plus simple. D’autres commentateurs croient que les mots : la biche de l’aurore, sont l’indication d’un cantique sur la mélodie duquel ce Psaume devait se chanter.
Verset 2. Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m’as-tu abandonné, te tenant loin de ma délivrance et des paroles de mon rugissement?
Plus d’une fois David a passé par des états d’âme qui avaient du rapport avec celui qui est exposé dans ce verset ; souvent il lui paraissait que Dieu s’était éloigné de lui et restait sourd à ses prières (Voyez Ps 10.1, 13.2). Mais jamais il n’a pu se sentir entièrement abandonné de Dieu ; ces paroles n’ont pu sortir d’aucune autre bouche que de celle de ce miséricordieux Sauveur qui a souffert comme le représentant des pécheurs, sur lequel « l’Éternel a fait venir l’iniquité de nous tous » Es 53.6, et qui a été fait « malédiction pour nous » Ga 3.13. Elles ne peuvent être comprises que par ceux qui admettent la doctrine de l’expiation en plein et en toute simplicité. Si l’âme sainte et pure du Fils de Dieu a dû se sentir privée de sa communion avec le Père et livrée à la puissance des ténèbres, c’est qu’elle a eu à porter réellement le poids des péchés de tout un monde. — La répétition du nom de Dieu est l’effet de l’angoisse ; c’est le cri de la foi qui lutte encore contre le désespoir. — L’intensité de la souffrance est également marquée par l’expression rugissement (en hébreu chaaga) qui s’emploie ordinairement en parlant des cris du lion.
Verset 3. Mon Dieu! je crie le jour et tu ne réponds point, et la nuit, et point de repos pour moi!
Les expressions de ce verset indiquent une souffrance prolongée, des prières souvent répétées et restées sans réponse. Bien que ce Psaume se rapporte plus particulièrement aux dernières heures de la vie terrestre de notre Seigneur, il s’applique aussi à sa vie entière, qui, du commencement à la fin, fut un sacrifice, une œuvre de renoncement, un état de luttes et de combats. Le Nouveau Testament nous parle des « nuits » qu’il passait en prière (Marc 1.35, etc.), des « supplications qu’il offrait avec cris et avec larmes à Celui qui pouvait le délivrer de la mort. » Hé 5.7.
Verset 4. Et cependant tu es le Saint, tu sièges au milieu des louanges d’Israël!
Au milieu de ses luttes contre la méchanceté des hommes, le fidèle trouve une grande consolation dans la pensée que la sainteté de Dieu ne peut manquer de se manifester tôt ou tard par des dispensations, qui sont pour ses enfants un sujet de ferventes actions de grâces.
Versets 5-6. En toi nos pères se sont confiés ; ils se sont confiés et tu les as délivrés ; ils ont crié vers toi et ils ont échappé ; en toi ils se confièrent et ne furent pas confus.
Le fidèle aime aussi à se rappeler les grâces et les délivrances que Dieu a accordées dans d’autres temps au peuple élu dont il fait partie ; il trouve dans cette pensée un encouragement à en espérer de semblables pour lui-même.
Verset 7. Mais moi je suis un ver, et non point un homme ; l’opprobre des humains, le méprisé du peuple.
Dans ce verset et les deux suivants, le Messie fait en quelque sorte appel à la bonté de Dieu et à sa fidélité, en mettant son extrême abaissement en regard des bienfaits dont ses pères selon la chair avaient été comblés. — « Loin que la gloire du Fils de Dieu reçoive quelque atteinte des humiliations extraordinaires auxquelles il s’est soumis, c’est dans ces humiliations même que nous pouvons contempler sa grâce incomparable » (Calvin). — Lorsque nous rencontrons un de ces vers qui rampent sur la terre, notre pensée ne devrait-elle pas se porter sur Celui qui par compassion pour les pauvres pécheurs a daigné s’abaisser au point de pouvoir être comparé à ces créatures qui occupent l’un des derniers rangs dans l’échelle des êtres? (Comp. Es 52.14, 53.3-4).
Verset 8. Tous ceux qui me voient se moquent de moi, ils écartent les lèvres, ils secouent la tête :
L’accomplissement de ce verset se voit Mt 27.31,41. (Voyez aussi Ps 2.4). — Nous traduisons le commencement du second hémistiche comme le font les plus anciennes versions et ensuite Aben-Esra et Kimchi. Il s’agit du mouvement que font les lèvres pour parler ; les paroles qui en sortent sont celles du verset suivant. Les versions modernes portent : ils font la moue. — « Ils secouent la tête. » L’accomplissement se voit Mt 27.39 (Comp. 2 R 19.21).
Verset 9. « Il s’est remis à l’Éternel ; qu’il le délivre, qu’il le dégage, puisqu’il met son plaisir en lui! »
« Satan emploie sa flèche la plus aiguë pour blesser les âmes, lorsqu’il cherche à ébranler notre espérance en tournant en ridicule les promesses de Dieu » (Calvin). Les misérables qui se tenaient au pied de la croix de notre Seigneur se servirent, sans s’en douter probablement, mais par une direction providentielle, des paroles mêmes de ce Psaume pour l’outrager (Mt 27.43). — Le verbe que nous avons rendu par se remettre à signifie proprement rouler, et on pourrait traduire littéralement : « il a roulé sur l’Éternel » et sous-entendre : son fardeau, ses inquiétudes. C’est une expression fort énergique (Comp. Ps 37.5 ; Pr 16.9 ; 1 Pi 5.7). Nous avons mis le verbe au passé, comme le font la plupart des versions. Mais comme la forme qu’il a en hébreu est ordinairement celle de l’impératif, Hengstenberg préfère traduire : « Jette ton fardeau sur l’Éternel. » Le sens reste le même. — Sur les mots : « Il met son plaisir en lui » comp. Ps 18.20 ; Mt 3.17, 17.5.
Versets 10-11. Car c’est loi qui m’as tiré du ventre, qui m’as protégé sur le sein de ma mère ; sur toi je fus jeté dès la matrice, dès le ventre de ma mère tu fus mon Dieu!
Aux railleries de ses bourreaux le fidèle oppose, « comme un rempart contre les machines de Satan, » dit Calvin, le souvenir des tendres soins que son Père céleste avait pris de lui dès sa naissance et même avant sa naissance. Nous ne sommes pas frappés, autant que nous le devrions, de cette merveille qui se reproduit sans cesse devant nos yeux, de la formation et de la conservation d’un petit enfant (Ps 71.5-6, 139.15-16).
Verset 12. Ne t’éloigne pas de moi, car la détresse est proche, et il n’y a personne qui aide!
Retour à la pensée du verset 2. — Le fait même que la détresse est proche devient pour le fidèle une raison d’espérer que la délivrance l’est aussi. « II se fait de son désespoir même une échelle pour ses prières » (Calvin).
Versets 13-14. Des taureaux nombreux m’environnent, les puissants de Bassan me cernent ; ils ouvrent leur gueule contre moi, comme le lion qui déchire et qui rugit.
Ce verset et les suivants sont un tableau de la détresse dont parlait le verset 12. — Le fidèle compare ses adversaires à des taureaux furieux, à des lions qui rugissent. David se sert de la même comparaison (Ps 10.9), mais jamais elle n’a été mieux appliquée qu’à ces furieux qui criaient autour du Seigneur Jésus : Crucifie-le, crucifie-le, ainsi qu’à ce lion rugissant (1 Pi 5.8) dont le Fils de Dieu avait également à soutenir les assauts. — Le pays de Bassan était une contrée montagneuse à l’est du Jourdain, renommée par ses pâturages et la beauté du bétail qu’on y élevait (Dt 32.14 ; Ez 39.18) ; les puissants de Bassan sont donc les taureaux déjà mentionnés dans le premier membre du verset.
Versets 15-16. Je m’écoule comme de l’eau, et tous mes os se disloquent ; mon cœur est comme de la cire, il se fond au milieu de mes entrailles ; ma vigueur est desséchée comme l’argile, ma langue s’attache à mon palais, et tu m’as couché dans la poussière de la mort.
Ces versets dépeignent les souffrances extraordinaires, physiques et morales que notre Seigneur eut à endurer tandis que son corps était suspendu à la croix et que son âme sainte avait à porter à la place des pécheurs la malédiction de Dieu. — Il se peut que les mots : ma langue est attachée à mon palais, se rapportent à la soif dont le Fils de Dieu fut tourmenté et dont le St-Esprit parle par la bouche de David dans Ps 69.22.
Verset 17. Car des chiens m’environnent, une horde de malfaiteurs m’enveloppe ; ils ont percé mes mains et mes pieds.
Le fidèle représente ses persécuteurs par une nouvelle comparaison, analogue à celle des versets 13 et 14, puis le verset se termine par un trait qui s’est accompli à la lettre dans la passion du Fils de Dieu. — Dans d’autres passages encore il est dit du Messie qu’il a été percé. Za 12.10 ; Ap 1.7. Il est constaté que dans le supplice de la crucifixion les pieds étaient fixés à la croix par des clous qui les transperçaient, aussi bien que les mains ; le passage Luc 24.39 paraît également l’indiquer. Le dernier membre est traduit comme nous l’avons fait dans la presque totalité des versions, à commencer par les Septante. Il est vrai que la forme du mot hébreu (kaari) que nous rendons par ils ont percé, présente une irrégularité au point de vue grammatical ; mais cette irrégularité n’est pas assez grave pour nous porter à nous départir d’une traduction à laquelle son antiquité et son universalité donnent un grand poids et qui s’accorde si bien avec le caractère prophétique de ce Psaume. D’autres traducteurs, le rabbin Aben-Esra et parmi les modernes Hengstenberg et Perret-Gentil, en ont jugé autrement, et donnant au mot en question le sens qu’il a ordinairement (comme un lion), ils traduisent : comme un lion mes mains et mes pieds. Mais alors on a un membre de phrase sans verbe et l’on est obligé d’en suppléer un (ils déchirent, ou bien ils enveloppent), ce qui est aussi une difficulté.
Verset 18. Je pourrais compter tous mes os, et eux, ils contemplent, ils jouissent de me voir.
Les paroles de ce verset expriment aussi la souffrance la plus intense, une souffrance telle que le Christ sentait dans chacun de ses os une douleur distincte. — « Ils contemplent. » (Comp. Luc 23.35).
Verset 19. Ils se partagent mes vêtements, et tirent au sort pour ma robe.
Encore une prédiction accomplie à la lettre. Mt 27.35. — Le mot hébreu, traduit par vêtements, désigne les vêtements en général ; la robe ou tunique se portait sous les autres vêtements.
Verset 20. Toi donc, ô Éternel, ne te tiens pas loin! ô ma Force! hâte-toi de me secourir!
Cette strophe se termine, comme elle a commencé, par une prière fervente, qui fut exaucée par la force qui fut donnée au Messie pour accomplir l’œuvre de l’expiation jusqu’au bout, et surtout par sa résurrection glorieuse. — « Ne te tiens pas loin » (Voyez versets 2 et 12).
Verset 21. Délivre ma personne de l’épée et mon unique de la patte du chien!
L’épée est une image de la douleur et de la mort. Ex 18.4 ; Jb 19.29. Ici elle représente plus particulièrement cette épée de la justice de Dieu qui devait frapper le Messie (Za 13.7), et dont nous trouvons un symbole dans celle qui fermait à l’homme déchu l’entrée du paradis. Gn 3.24. — L’image du « chien » est expliquée par le verset 17. — Dans le second hémistiche se trouve un mot (jekida) qui signifie littéralement un être ou un objet qui est seul. La plupart des commentateurs pensent que le psalmiste appelle ainsi son âme, parce qu’elle était ce qu’il possédait de plus précieux ; Calvin et Hengstenberg disent qu’il l’appelle ainsi parce qu’elle se trouvait dans un état d’abandon, d’isolement. La première explication nous paraît plus naturelle.
Verset 22. Sauve-moi de la gueule du lion, exauce-moi contre les cornes des buffles!
Sur le « lion » voyez verset 14. — Le buffle est mentionné comme un animal vigoureux et violent. Dt 33.17.
Verset 23. J’annoncerai ton nom à mes frères, je te célébrerai au milieu de l’assemblée.
Dans la seconde strophe, le Messie assuré de l’exaucement de sa prière, annonce que la nouvelle de sa délivrance sera publiée jusqu’aux extrémités du monde, et qu’elle sera en tous lieux le sujet d’une grande joie. David parle bien aussi quelquefois de la joie que les autres fidèles ressentiront des grâces que Dieu lui accorde (Ps 34.3, 35.27), mais des paroles comme celles de ce Psaume ne peuvent s’appliquer ni à lui ni à aucun autre juste de l’ancienne alliance. Dans l’Épître aux Hébreux 2.12, ce verset est cité expressément comme accompli en la personne du Christ. La force de la vérité arrache même au rabbin Kimchi l’aveu que ces choses arriveront dans le temps du Messie. Cette seconde partie du Psaume se trouve en quelque sorte résumée dans cette parole d’Esaïe : « Après avoir mis son âme en oblation pour le péché, il se verra de la postérité, il prolongera ses jours et le bon plaisir de l’Éternel prospérera dans sa main ; il jouira du travail de son âme et en sera rassasié. » Es 53.10-11.
C’est une prophétie qui depuis 1800 ans trouve un premier accomplissement dans les effets de la prédication de l’Évangile, mais qui se rapporte plus directement encore à l’époque du second avènement de notre Sauveur. — C’est par la parole écrite, par la bouche de ses ministres et des chrétiens vivants et par l’action invisible de son Esprit, que le Christ annonce la bonne nouvelle de sa résurrection par laquelle le sceau a été mis à toute son œuvre. Nous devons nous estimer heureux quand nous pouvons nous associer de quelque manière à cette proclamation du salut. — « Ton nom » voyez Ps 8.2, 20.2,8. — Combien est précieux ce nom de frères que le Seigneur Jésus se plaît à donner aux fidèles! Mt 12.49-50, 28.10 ; Jn 20.17 ; Hé 2.11.
Verset 24. Vous qui craignez l’Éternel, célébrez-le! vous, toute la postérité de Jacob, glorifiez-le : vous, toute la postérité d’Israël, tremblez devant Lui!
Les mots : « vous qui craignez l’Éternel, » nous font connaître qui sont ceux que le Messie appelle « ses frères. » — « Bien que les impies puissent chanter les louanges de Dieu à gorge déployée, ils ne font que profaner son nom sacré » (Calvin). — « Tremblez devant lui. » La nature de cette crainte est expliquée par Ps 2.11 ; Ph 2.12 ; 1 Pi 1.17.
Versets 25-26. Car il n’a point méprisé, point rejeté l’affliction de l’affligé ; il ne lui a point caché sa face, et quand il a crié vers lui, il a écouté. De par toi je chanterai dans une grande assemblée ; j’acquitterai mes vœux en présence de ceux qui le craignent.
« Quand il a crié vers lui. » Voyez Hé 5.7.
« De par toi. » Ici le Messie s’adresse au Père et lui rend grâces pour l’œuvre qu’il lui a donné d’accomplir. « Ceci est arrivé de par l’Eternel et c’est une merveille à nos yeux. » Ps 118.23. — « La grande assemblée, » c’est le peuple du Messie considéré dans son ensemble, quant aux lieux et quant aux temps. Comp. Ps 40.9. St-Augustin tire parti de cette expression pour faire remarquer l’erreur des Donatistes (les séparatistes d’alors) qui avaient l’orgueil de prétendre que l’Église tout entière se trouvait dans leur secte, qui cependant n’occupait qu’une petite portion de l’Afrique. — Les vœux des fidèles de l’ancienne alliance consistaient généralement en sacrifices (Lv 7.16 ; Ps 66.13-15, 107.21-22) ; ces sacrifices étaient accompagnés de repas auxquels on conviait les indigents, les orphelins, les étrangers. Comp. Dt 6.11. Les vœux dont s’acquitte le Messie sont naturellement d’une autre nature. Il s’agit de la joie, de l’amour, de la reconnaissance qu’il éprouve, sentiments auxquels s’associent tous ceux qui participent aux bénédictions de l’Évangile.
Verset 27. Les débonnaires mangeront et seront rassasiés, ceux qui cherchent l’Éternel le célébreront ; votre cœur vivra éternellement.
Sur les débonnaires voyez Ps 9.19. Cette expression ainsi que celle de : chercher l’Éternel, indique qui sont ceux qui seuls auront part aux bienfaits de la rédemption. — L’expression : ils mangeront, fait probablement allusion aux repas de charité qui accompagnaient les sacrifices (voyez verset 26). On sait aussi que les bénédictions spirituelles sont fréquemment représentées sous cette image d’un repas. Es 25.6, 55.1-2 ; Lc 14.16. Calvin applique ces paroles au festin spirituel par excellence, la Cène. Mais nous ne devons pas nous arrêter aux grâces dont le fidèle peut jouir dans la vie présente, le mot éternellement doit porter nos pensées beaucoup plus loin. Comp. Jn 6.27.
Verset 28. Tous les bouts de la terre se souviendront et retourneront à l’Éternel ; toutes les familles des nations se prosterneront devant ta face.
Le psalmiste annonce ici positivement que les Gentils seront aussi appelés à faire partie du peuple du Messie. Comp. Ps 2.8, 19.5, 72.8 ; Es 2.4, 45.22. — Après les mots : « Ils se souviendront, » on peut sous-entendre « de l’œuvre merveilleuse de la rédemption. » C’est la doctrine du salut gratuitement accordé par la foi en Jésus-Christ qui peut seule porter une âme à retourner à l’Éternel, à se convertir. — L’expression : familles des nations, porte nos pensées sur la promesse adressée à Abraham. Gn 12.3, 18.18.
Verset 29. Car à l’Éternel appartient le règne, et il domine sur les nations.
La royauté dont il est question dans ce verset est essentiellement celle que le Père exerce par l’intermédiaire du Fils. Comparez Ps 2:6, 96.10, 97.1 ; Za 14.9 ; 1 Co 15.24 ; Ap 11.15.
Verset 30. Tous les riches de la terre mangeront et se prosterneront ; et devant sa face s’inclineront, tous ceux qui descendent dans la poussière, et qui ne conservent pas leur vie.
Le psalmiste revient à l’image du repas et il annonce que les hommes de toutes les conditions pourront participer aux bénédictions promises. Il serait à désirer que les riches se souvinssent qu’ils en ont besoin aussi bien que les plus pauvres.
Verset 31. La postérité le servira, elle sera comptée pour le Seigneur d’âge en âge ;
Le Psaume se termine par une promesse très précieuse concernant la durée de l’œuvre du Messie. « Ces paroles nous garantissent la perpétuité de l’Église ; il n’est pas promis qu’elle doive être toujours dans un état florissant, mais que Dieu suscitera toujours quelques fidèles qui le serviront en sincérité » (Calvin). — La traduction que nous donnons pour le second membre de ce verset est la plus ancienne ; elle donne le parallélisme le plus complet avec le premier membre et paraît justifiée par les passages analogues. Ps 87.5-6 ; Es 44.5 ; Rm 9.8. Cependant on peut aussi traduire comme Hengstenberg et d’autres : on parlera du Seigneur à la génération (c’est à dire à la génération future), ou bien avec Stier : elle sera comptée pour le Seigneur comme génération (comme son peuple).
Verset 32. on viendra et on annoncera sa justice au peuple qui naîtra ; car c’est Lui qui a accompli.
« On annoncera sa justice. » Ces paroles nous rappellent que c’est par la prédication, par l’enseignement, que l’Église se perpétue et se propage. C’est pourquoi chaque génération doit instruire la génération suivante ; chaque fidèle doit être, pour autant qu’il en a l’occasion, un prédicateur de la justice. La « justice » qui doit être le sujet de cette prédication sans cesse renouvelée, désigne, ainsi que dans beaucoup d’autres passages, la fidélité de Dieu, l’accomplissement de ses promesses. — Après les mots : car il a accompli, on peut sous- entendre : toute son œuvre. Cette parole peut avoir été présente à la pensée de notre Seigneur quand il s’écria sur la croix : « Tout est accompli » (Jn 19.30) ; de même que les premières paroles de ce magnifique Psaume se sont aussi trouvées dans sa bouche.
Pasteur Armand de Mestral, Commentaire sur le livre des Psaumes, p. 188-200
[1] Il s’en est cependant trouvé quelques-uns, qui ont été contraints de rendre témoignage à la vérité. Quelques-uns de ces aveux sont recueillis dans les Annotationes uberiores in Hagiographos de Chr. Ben. Michaëlis.