- Ô Éternel, pourquoi te tiens-tu éloigné, et fermes-tu les yeux dans les temps de détresse?
- L’affligé est tourmenté par l’orgueil du méchant ; ils sont saisis dans les trames qu’ils ourdissent.
- Car le méchant se glorifie de la convoitise de son âme, il félicite l’avare et méprise l’Éternel.
- Le méchant dit, portant le nez haut, « il ne recherchera point ; il n’y a point de Dieu, » voilà toutes ses pensées!
- Ses voies sont fermes en tout temps ; tes jugements sont fort élevés au-dessus de lui, sur tous ses ennemis il souffle avec dédain.
- Il dit en son cœur « Je ne serai point ébranlé, d’âge en âge je suis à l’abri du malheur. »
- Sa bouche est pleine de parjure, de fraude et de violence et sa langue recèle le tourment et l’iniquité.
- Il se tient en embuscade près des hameaux, dans les cachettes il tue l’innocent, ses yeux épient le malheureux.
- Il guette de sa cachette, comme le lion de son repaire, il guette pour surprendre l’affligé, il surprend l’affligé, les attirant avec son filet ;
- il se tapit, il se baisse, les faibles succombent entre ses griffes puissantes.
- Il dit en son cœur : « Dieu a oublié, il a caché sa face, il ne verra jamais! »
- Lève-toi, Éternel! Ô Dieu, élève ta main! N’oublie pas les affligés!
- Pourquoi le méchant méprise-t-il Dieu? Et dit-il en son cœur : Tu ne rechercheras point?
- Tu as vu pourtant! car toi, tu regardes le tourment et la douleur, pour les déposer dans ta main ; le faible s’en remet à toi, de l’orphelin, c’est toi qui es le soutien.
- Brise le bras du méchant, recherche la méchanceté du mauvais homme ; et tu ne le retrouveras plus!
- L’Éternel est Roi à toujours et à perpétuité! Les nations périssent de dessus sa terre.
- Tu entends le souhait des débonnaires, ô Éternel! tu affermis leur cœur, tu inclines ton oreille,
- pour faire droit à l’orphelin et à l’opprimé, afin que l’homme qui est sur la terre, ne continue pas à répandre l’effroi.
Ce Psaume est sans titre, mais il a des rapports si nombreux avec le précédent (Comparez : Ps 9.10 avec 10.1 ; 9.20 avec 10.12, 16) que l’on a tout lieu de le croire composé en vue des mêmes circonstances. C’est une prière de David qui implore le secours de Dieu contre la puissance des méchants. Mais de même que le précédent, il ne se rapporte pas à David seulement et à son époque. Dans la version syriaque il est intitulé : « L’attaque de l’ennemi contre Adam et sa race, et comment Jésus-Christ réprimera son arrogance. » Ce Psaume est particulièrement instructif par la peinture qu’il fait du caractère et des œuvres du méchant. « En le lisant, dit Rieger, demandons-nous si nous savons aussi bien que son auteur garder la foi et la patience des saints? »
Dans la version des Septante et d’autres anciennes versions, ce Psaume fait partie du précédent. On les a probablement réunis à cause de leurs rapports assez frappants et du fait que le Psaume 10 n’a point de titre. Cependant dans les Bibles hébraïques ces deux Psaumes ont toujours été séparés, et nous devons les considérer comme deux compositions distinctes l’une de l’autre.
Dans les 11 premiers versets, le psalmiste dépeint avec une vérité saisissante le caractère des méchants, leur orgueil, leur fausse sécurité, leur acharnement contre les gens de bien, leurs ruses diaboliques ; la seconde strophe est une prière (12-15), puis le Psaume se termine par des actions de grâces (16-18).
Verset 1. Ô Éternel, pourquoi te tiens-tu éloigné, et fermes-tu les yeux dans les temps de détresse?
Dans sa détresse, c’est vers l’Éternel que le psalmiste se tourne pour chercher du secours. C’est aussi la première chose que nous ayons à faire dans nos maux. Il y avait encore de la foi dans son cœur, bien qu’il fût alors privé du sentiment de la présence de Dieu et plongé dans un profond abattement. Personne n’a connu à un plus haut degré ces luttes et ces angoisses que notre miséricordieux Sauveur (Mt 27.46). Pourquoi fermes-tu les yeux? Quand la délivrance tarde, il nous semble que Dieu détourne ses regards de nous et qu’il ne veut pas s’occuper de nos peines.
Verset 2. L’affligé est tourmenté par l’orgueil du méchant ; ils sont saisis dans les trames qu’ils ourdissent.
« Il est bon, dit Richter, que nous sachions ce qui nous attend de la part des méchants, comme aussi (ce qui se voit dans la seconde strophe) ce qui attend les méchants. » C’est avec raison que le psalmiste indique l’orgueil du méchant comme la source de toutes ses mauvaises pensées et de toutes ses mauvaises œuvres. C’est aussi l’orgueil qui est le mobile de toutes les persécutions religieuses ou politiques ; l’homme orgueilleux ne tolère pas que l’on ait d’autres croyances et d’autres mœurs que les siennes. L’orgueil sera aussi le caractère le plus saillant de l’Homme de péché (2 Th 2.4 ; Dn 11.36 ; Ap 13.6). — Le mot hébreu que nous rendons par tourmenté est d’une grande énergie ; il exprime proprement l’action du feu ; il n’est pas trop fort pour représenter les souffrances que l’arrogance et la cruauté des méchants infligent à leurs victimes. — Comme il est souvent dit dans les Psaumes que les méchants se prennent dans leurs propres filets (Ps 7.1, 4, 9.16, etc.), quelques commentateurs croient que les mots : ils sont saisis, doivent s’entendre des méchants, mais comme ce n’est que dans la seconde strophe que le psalmiste parle de la punition des méchants, il est plus naturel de les rapporter aux fidèles affligés, dont il est question dans le premier hémistiche. Ces transitions subites du singulier au pluriel ou du pluriel au singulier sont fréquentes dans la poésie hébraïque.
Verset 3. Car le méchant se glorifie de la convoitise de son âme, il félicite l’avare et méprise l’Éternel.
Le méchant se glorifie du désir de son âme ; il se fait honneur de ses débauches, de ses intrigues et de ses criminels succès ; il se vante du mal (Ps 52.2). C’est ce dont on peut se convaincre surabondamment en entendant les conversations des mondains ou en lisant quelqu’une des productions de la littérature moderne, les journaux, etc., etc. — La traduction que nous donnons du second hémistiche est la plus ancienne et la plus naturelle. Le psalmiste veut dire que le méchant approuve le mal chez les autres aussi bien que chez lui-même, et que tandis que l’avare, l’homme avide, rapace, est l’objet de ses éloges et de sa considération, il n’a que du mépris pour Dieu et pour ses saintes lois. Plusieurs commentateurs modernes donnent au premier verbe le sens de congédier, dédaigner, qu’il a dans Job 1.11, 2.9 et traduisent: l’avare congédie l’Éternel et le méprise. — L’orgueil se peint sur la physionomie, de là l’expression : « porter le nez haut. »
Verset 4. Le méchant dit, portant le nez haut, « il ne recherchera point ; il n’y a point de Dieu, » voilà toutes ses pensées!
« Il n’y a point de Dieu. » C’est là le langage des impies dans tous les temps (Voyez verset 13 ; Ps 14.1, 36.2). Ce n’est pas qu’ils nient formellement l’existence de Dieu, mais ils le dépouillent de sa puissance ; « un Dieu qui aurait abdiqué son office de juge ne serait plus qu’un faux dieu » (Calvin). Tel est le Dieu des panthéistes, des rationalistes, des mondains ; les athées dans le sens proprement dit de ce mot ne sont pas nombreux. « Quel orgueil diabolique! Le méchant se suffisant à lui-même, il croit n’avoir besoin ni de prophète, ni de prêtre, ni de roi, ni de Christ, ni de juge » (Horne)[1].
Verset 5. Ses voies sont fermes en tout temps ; tes jugements sont fort élevés au-dessus de lui, sur tous ses ennemis il souffle avec dédain.
La prospérité prolongée dont le méchant jouit souvent, contribue à l’endurcir (Voyez Ec 8.1). « Ils s’imaginent que Dieu est lié envers eux. Ils se représentent Dieu comme s’il était enfermé dans le ciel et qu’ils n’eussent rien à faire avec lui. Ils croient même avoir fait un pacte éternel avec la mort » (Calvin). Dans son orgueil, le méchant croit que rien ne lui résistera, il croit n’avoir qu’à souffler sur ses ennemis pour les anéantir. Mais « le Seigneur le détruira par le souffle de sa bouche, l’anéantira par la clarté de son avènement » 2 Th 2.8. — Le second hémistiche peut avoir deux sens. Le psalmiste veut dire que pendant un certain temps les jugements de Dieu n’atteignent pas le méchant (répétition de l’idée du premier hémistiche), ou bien que le méchant ne songe pas à ces jugements, qu’il les perd de vue. Le second sens nous paraît le plus probable.
Verset 6. Il dit en son cœur « Je ne serai point ébranlé, d’âge en âge je suis à l’abri du malheur. »
Comparez Es 47.7 ; 2 Th 5.3 ; Ap 18.3.
Verset 7. Sa bouche est pleine de parjure, de fraude et de violence et sa langue recèle le tourment et l’iniquité.
Ce verset a fourni à St-Paul un trait pour son tableau de l’homme naturel (Rm 3.14. Voyez aussi Ps 5.10).
Verset 8. Il se tient en embuscade près des hameaux, dans les cachettes il tue l’innocent, ses yeux épient le malheureux.
Il y a une gradation dans ce portrait de l’impie ; les versets 3-6 nous dévoilent ses pensées les plus secrètes, son oubli de Dieu, sa fausse sécurité. Le verset 7 nous fait connaître les paroles qui sortent de ce cœur corrompu et les 8-10 ses œuvres, ses actes d’oppression et de violence.
Verset 9. Il guette de sa cachette, comme le lion de son repaire, il guette pour surprendre l’affligé, il surprend l’affligé, les attirant avec son filet ;
Nous trouvons ici l’image du lion (Voyez Ps 7.3), ensuite celle du chasseur qui a préparé des filets. St-Augustin voit ici une prédiction des persécutions qui seront exercées par l’Antichrist et qui seront les plus dangereuses, parce que la ruse s’y trouvera combinée avec la violence.
Verset 10. il se tapit, il se baisse, les faibles succombent entre ses griffes puissantes.
D’après notre traduction, le premier hémistiche se rapporte à l’ennemi ; il représente le lion qui se baisse et se cache pour pouvoir s’élancer à l’improviste sur sa proie. C’est l’opinion de la plupart des commentateurs anciens et modernes, et elle est appuyée par un passage du livre de Job (Job 39:2), où le même verbe est employé en parlant des mouvements du lion. Cependant on pourrait aussi avec De Wette, Hengstenberg et quelques autres le rapporter aux victimes et traduire : « Écrasés, abattus, les faibles succombent entre ses griffes puissantes. »
Verset 11. Il dit en son cœur : « Dieu a oublié, il a caché sa face, il ne verra jamais! »
Retour à la pensée du verset 4.
Verset 12. Lève-toi, Éternel! Ô Dieu, élève ta main! N’oublie pas les affligés!
Ces expressions rappellent celles de Ps 3.8, 7.7, 9.20. Tandis que l’impie se complaît dans la pensée que Dieu oublie, le fidèle la repousse comme une tentation.
Verset 13. Pourquoi le méchant méprise-t-il Dieu? Et dit-il en son cœur : Tu ne rechercheras point?
Réponse du croyant aux blasphèmes de l’impie (versets 4 et 11).
Verset 14. Tu as vu pourtant! car toi, tu regardes le tourment et la douleur, pour les déposer dans ta main ; le faible s’en remet à toi, de l’orphelin, c’est toi qui es le soutien.
Il faut remarquer la liaison qui existe entre les deux membres du premier hémistiche. Le fidèle est convaincu que l’Éternel prend connaissance de la détresse dans laquelle il se trouve (« Tu l’as vu »), parce qu’il a coutume d’arrêter ses regards sur les souffrances de ses enfants (« Car tu regardes, toi, le tourment et le chagrin »). Il applique le principe général au cas particulier. « Rien n’est plus facile que de reconnaître d’une manière générale que Dieu prend soin des choses humaines ; mais ce qui est très difficile c’est d’appliquer cette doctrine à nos besoins particuliers » (Calvin). Ce n’est pas comme un spectateur oisif et impuissant que Dieu regarde les peines des fidèles ; il les dépose en sa main, c’est à dire qu’il s’en souvient pour envoyer la délivrance dans le temps convenable et pour châtier les persécuteurs. Il nous est aussi représenté comme recueillant les larmes du fidèle (Ps 56.9). — A toi le faible s’en remet. Calvin a très bien développé cette idée : « Il faut donner du temps à la Providence de Dieu. Une fois que les hommes pieux s’en sont remis à lui, ils ne doivent pas être trop pressés de voir s’accomplir leurs vœux. Déchargés de leur fardeau, ils doivent respirer librement, en attendant que Dieu montre par l’événement que le temps d’agir est arrivé. »
Verset 15. Brise le bras du méchant, recherche la méchanceté du mauvais homme ; et tu ne le retrouveras plus!
Le méchant, loin d’obtenir l’impunité sur laquelle il comptait (verset 13), se verra écrasé par les jugements de Dieu au point même de disparaître entièrement de la terre (Comp. Ps 37.36).
Verset 16. L’Éternel est Roi à toujours et à perpétuité! Les nations périssent de dessus sa terre.
Le fidèle a reçu dans son cœur l’assurance que sa prière est exaucée ; par la foi il voit sa propre délivrance et en même temps celle de tous les fidèles. Ces paroles auront leur parfait accomplissement quand le Messie prendra possession de son royaume, car c’est en sa personne que Dieu se manifestera comme Roi. Ps 2.7 ; Ap 11.17, 19.6. Il n’en est pas de ce Roi comme de ceux de la terre, dont la vie et la puissance sont limitées. Il est Roi à toujours et à perpétuité (Comp. Ps 146.3). « Si le Roi céleste n’exécute pas ses jugements immédiatement, néanmoins la puissance lui reste toujours toute entière » (Calvin). Dans les Psaumes le mot nations (gojïm), désigne ordinairement les peuples étrangers, mais il est probable que dans ce passage et dans quelques autres (par exemple Ps 9.18, 21), le psalmiste comprend aussi sous ce nom ceux d’entre les Israélites qui par leur incrédulité, leur dureté de cœur, leur esprit persécuteur s’étaient assimilés aux nations et rendus indignes du nom de peuple de Dieu. La terre de l’Éternel, c’est d’abord le pays de Canaan, mais aussi la terre entière (Ps 24.1).
Verset 17. Tu entends le souhait des débonnaires, ô Éternel! tu affermis leur cœur, tu inclines ton oreille,
Les débonnaires (Voyez l’explication de Ps 9.19). Tu affermis leur cœur (Comp. Ps 7.10). Tu inclines ton oreille. On sait combien il est fréquent de voir les auteurs sacrés représenter Dieu avec des attributs qui appartiennent à la nature humaine ; ils lui donnent des yeux, des oreilles, une bouche, etc. Le fidèle se plaît à se représenter son Dieu comme un être qui lui est semblable, comme un ami, et à user avec lui d’une sainte familiarité.
Verset 18. pour faire droit à l’orphelin et à l’opprimé, afin que l’homme qui est sur la terre, ne continue pas à répandre l’effroi.
(Comp. Ps 9.20-21). L’hébreu porte : afin que l’homme de (ou depuis) la terre. Le psalmiste considère la terre comme le lieu où l’homme habite et où il exerce sa puissance (Comp. Ps 148.7), et il veut faire remarquer combien il est absurde qu’une créature aussi chétive persiste dans sa révolte contre l’Être tout puissant qui habite les cieux.
Pasteur Armand de Mestral, Commentaire sur le livre des Psaumes, p. 110-117
[1] Nous introduisons le verbe dire qui ne se trouve pas dans l’hébreu. Il est probable que le psalmiste a voulu exprimer la même pensée qu’au v. 13 (le méchant se persuade qu’il échappera aux jugements de Dieu). Cependant on pourrait traduire aussi avec d’anciennes versions : « Le méchant portant le nez haut ne recherche point; il n’y à point de Dieu, voilà toutes ses pensées. » l.e psalmiste aurait voulu dire que le mé chant ne recherche point Dieu.